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Elections présidentielles: qui est le plus circonspect?

« En pratique cela veut dire que tous les mouvements de gauche sont divisés aujourd’hui au sein d’eux-mêmes entre ceux qui ont déjà bénéficiés des politiques égalitaires et ceux qui n’en ont bénéficié qu’au minimum ou pas du tout. La peur de disparaître du premier groupe, le ressentiment ou la colère d’être tombé dans le second groupe rend de nombreux individus enclis à une forme particulière de populisme qui prennent volontiers des formes droitières, chauvines et fondamentalistes. » M Walzer, Pluralisme et démocratie sociale, 1996. In Pluralisme et démocratie, p. 156.

 

 

Entre tous ces candidats il faut choisir.

Il est vrai que, comme je suis de gauche, mes préférences vont aujourd’hui plutôt aux candidats qui se réclament de cette orientation. Le test proposé par le journal Le monde, me donne à 56% Hamon, 52% Mélenchon, 34% Macron, 22% Poutou, mais aussi 17% Fillon, et même 12% Le Pen. Les autres candidats sont présents aussi . Des idées ou propositions plus libérales, mais aussi plus nationales, ont donc du se glisser dans mon esprit et mon intention n’est pas de le nettoyer : j’existais, je réfléchissais avant que l’ensemble de ces boites à idées et propositions que sont les candidats, soit sur le devant de la scène.. Il faut donc admettre que je ne me reconnais pleinement dans aucun candidat. L’embarras commence là et je pense qu’il doit être partagé par beaucoup de mes concitoyens.

Comment le lever ?

Certainement que la considération du 2° tour va compter dans mon choix : je ne tiens pas à me retrouver devant un duel Filon- Le Pen, et somme toute, un tel duel ne refléterait que de très loin la dispersion actuelle des intentions. Il me faut donc faire attention au vote utile, avoir cette question dans un coin de ma tête, alors qu’il semblerait normal que dans ce premier tour je vote pour le candidat préféré. Hamon somme toute. Quel critère l’emportera ?

Je suis donc toujours hésitant.

Mais j’ai également l’idée d’un autre critère : « qui est le plus circonspect ? » Telle est selon moi la question. Qu’entendre par là ?

On nous parle aujourd’hui beaucoup de programme, des programmes des candidats. Mais je crois qu’il y a un leurre avec ce terme. Qui dit programme engage plusieurs choses : d’abord une idée qui ferait l’unité des diverses réformes proposées, ou nous assurerait de leur cohérence. Ensuite un engagement net pour l’avenir : le programme trace une ligne, engage dans un avenir que l’on souhaite, il propose une direction nette, capable de soutenir un élan puissant et collectif.

Si ce terme de programme me semble un leurre c’est que notre temps n’est pas à quelque chose de tel : il est trop ouvert et incertain : qui peut prétendre la réduire à une ligne, une direction, un programme, un lieu, une nation ? Avoir un programme, y insister, c’est recouvrir cette indétermination plutôt que de s’y tenir.

Circonspect en revanche sont ceux qui se tiennent et savent nous aider à nous tenir devant cette indétermination et cette ouverture. Comment ?

1 – Et bien tout d’abord en s’efforçant de lister et différencier les questions majeures et en les faisant exister à chaque fois pour elles-mêmes. « Il s’agit là d’un autre dossier, avec ses complexités propres ; ne pensons plus au précédent ». C’est déjà quelque chose puisque par là on se refuse à dire ou faire penser que « tout se joue dans l’économie », que « tout se joue dans la préférence nationale », que « tout se joue dans le dynamisme politique », « que tout se joue dans la dette » ou tel ou tel autre aspect. Par contraste, la capacité des candidats à faire exister et à tenir dans le temps ce pluralisme des problèmes, me semble importante et elle implique une « connaissance » minimale de ces dossiers, étayés par des savoirs. En particulier des faits tenus pour décisifs, susceptibles d’orienter bien nos attentions. Des états de choses. Les candidates me semblent très différents dans cette capacité à nous pointer ces différents états des choses ; beaucoup en viennent trop vite à leur propositions, plutôt que de s’attarder au moins un peu sur ces états.

2 – En s’efforçant ensuite d’introduire de nouvelles questions, de nouveaux modes d’attention, qui font un peu de place à autre chose, qui nous sortent quelque peu des questions supposées majeures, font voir des modes de vie autres, font voir et surtout jugent que telle question est digne d’une attention collective. Ne pas toujours rester dans les supposes grandes questions, mais introduire du décalage, et introduire aussi la présence discrète d’une société qui sait ici ou là trouver des voies nouvelles. Capacité mettre un peu à distance l’idée même qu’il y a et qu’il n’y a seulement, que des questions majeures. Bref critique de l’unidimensionnelle, autant que des questions tenues pour majeures.

Et pour ces deux points que faut-il ? Le travail d’une connaissance des problèmes, la simple mention que beaucoup s’y penchent aujourd’hui, – autrement-dit que les sciences s’en occupent- et donc la capacité à se faire l’écho, au moins un minimum, de ces travaux (Et sur ce point, et pour donner un exemple, il est clair que Manuel Vals aurait eu pas mal de retard : le volontarisme et l’inculture sont toujours allé de pair)). Mais l’attention aussi portée à ce qui dans la société, de façon locale, s’est déjà efforcé de poser autrement certaines questions, et même de les résoudre par certains aspects.

Intelligence des problèmes, œil sur la société et sur qui en vient. Mais surtout : savoir se défendre contre l’idée supposée rassembler tout le monde, contre la cohérence supposée attendue ; parvenir à faire exister le divers des questions et le divers des perspectives neuves. Ce n’est nullement facile et il faut lutter pour cela.

 

3- En s’efforçant encore à faire saisir et comprendre, qu’il n’y a, et même pour chacune des questions isolées, pas de solution royales, ou qu’il appartient aux propositions elles mêmes, de transformer le réel qu’elles abordent, et que par suite les propositions elles-mêmes devront évaluées et modifiées. C’est ce que l’on nomme le pragmatisme. Il ne dit pas : je n’ai pas de propositions, je verrai ce que je ferai, il n’est pas flou ; mais il accepte de dire que les propositions seront évaluées quant à leur résultat, et modifiées en conséquence. Le terme même d’évaluation ne suffit pas, tellement aujourd’hui il est capté par les experts ; ce qui compte c’est plutôt l’évaluation publique, et la capacité à la faire exister dans le temps. C’est pourquoi je parlerai de circonspection plutôt que de pragmatisme : le circonspect est celui qui teste et sait qu’il teste ; avance fermement mais est aussi attentif aux effets inattendus de ses actions, et les modifie en conséquence. Le réel est plus riche que nous le pensons, et il est en mesure de nous répondre. Là se joue la confiance. Une politique effectivement expérimentale, comme aurait dit Nietzsche, ou encore les pragmatiques nord-américains du début du XX°.

 

4 – Si le monde enfin est indéterminé et ouvert, c’est que nos décisions politiques sont dépendantes d’un environnement international. Pas d’un ordre, mais d’un environnement. Il y a des rapports de force à changer, tant par rapport à d’autres nations que par rapport à la domination du pouvoir financier, tant enfin par rapport à l’obsession de productivité. Le savoir ou le dire n’est pas quelconque, puisque on reconnaît à la fois leur poids et que l’on se dit qu’il y a quelque endroit où l’on peut commencer d’enfoncer un coin avec d’autres. Avoir certes une vue nette de ces questions, mais également avoir une intuition du moment ou du lieu où l’on pourra tenter de modifier tel ou tel rapport de force, sous tel ou tel aspect. Il n’y a pas « une » révolution à faire, mais des points à entamer, des points où déjà des failles existent pour qui sait les voir. C’est là le travail des hommes et femmes politiques de nous les faire vraiment voir. Question de connaissance et d’intelligence des choses et des ruptures possibles.

 

Différentiation et (dé)valorisation des problèmes, circonspection des essais, intuition de l’épaisseur de ce qu’il y a à changer : c’est à l’aune de ces quatre critères que l’on pourrait mesurer nos candidats. Ont-ils, dans leur rhétorique même, dans leur façon d’avoir été devant nous, leur façon de parler et de se manifester, montré cette quadruple attention ? Bien en deca de leur déclarations et de leur bonnes intentions, ont-ils reflétés ces manières d’être et de penser circonspects ? Et qui, plus que les autres. ?

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Croyance funeste

Je connus par le passé un homme qui faisait grand cas de l’anecdote suivante : une jeune femme, belle sans doute, se croyant sotte, dit un jour à Churchill que s’ils se mariaient ils auraient non seulement des enfants subtils et intelligents (comme lui) mais de surcroît beaux (comme elle). On ne sait si elle jouait ou non, mais Churchill, très sérieusement et assez agressivement, lui répondit ceci : et si c’était l’inverse ; et s’ils étaient laids comme moi et stupides comme vous ?

A la façon dont il me dit et répéta cette histoire, je compris qu’il voyait son couple à cette aune : il se croyait laid ou peu séduisant, mais intelligent certainement. Se pensant intelligent il la croyait (sa femme) bête, mais belle, et de nombreux témoignages semblaient lui donner raison. Il était donc embarrassé de cette sorte de jugement, c’était pour lui des choses bien réelles.

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Le goût de la communauté

Dans ces habituels débats à propos de la laïcité, je m’étonne toujours qu’il ne soit pas fait mention, au titre d’une défense de la laïcité, du gout, de notre goût pour les communautés. On oublie toujours de mentionner l’importance, dans nos vies, de ce que l’on pourrait nommer l’expérience communautaire.

Durkheim me semble avoir dit depuis longtemps pourtant des choses tout à fait simples et justes sur la question : « Rien n’est aussi agréable que la vie collective, pour peu que l’on y ait été habitué dès le plus jeune âge. Elle a en effet pour résultat d’augmenter la vitalité de chaque individu. On a beaucoup plus confiance en soi, on se sent plus fort lorsque l’on ne se sent pas seul. Il y a dans toute vie commune quelque chose d’ardent qui échauffe le cœur et qui fortifie la volonté » (L’éducation morale, 16° leçon). L’expérience du collectif est ainsi une expérience vitale : elle tient à la vie même et à son intensité autant que notre vitalité individuelle tient à elle. Sans elle, nous n’aurions pas peut-être d’expérience du vif ou d’un certain vif de la vie. Il poursuit ainsi, et cela devrait encore plus nous éveiller aujourd’hui : « Les minorités religieuses sont un intéressant exemple de cette trempe de caractère, de cet entrain de vie que communique à ses membres un groupe fortement cohérent. Là où une église est en minorité, pour pouvoir lutter contre l’hostilité et la malveillance ambiante, elle est obligée de se replier sur elle-même ; il se noue entre les fidèle des liens de solidarité beaucoup plus étroits que là où, n’ayant pas à compter avec des résistances extérieures, elle peut se déployer en toute liberté. (…) De cette concentration accrue, résulte un sentiment de réconfort, je ne sais quoi de vivifiant, qui soutient contre les difficultés de l’existence » (id.)

Pour ma part, et comme adulte, je vois bien que je suis étranger à toute communauté : mes expériences du collectif furent très furtives (quoique parfois très intenses et vérifiant ce que dit Durkheim) ; mon histoire comme mon goût propre m’ont tenu éloigné de toute forme de communauté ; je n’ai personne, hormis quelques très proches et parfois un professionnel, pour me « soutenir contre les difficultés de l’existence ». Je ne fais partie d’aucune association, qu’elle soit politique, sportive, sociale, professionnelle et je crois n’avoir aucune facilité pour cela ; je n’ai aucun goût pour les grandes manifestations sportives où le déchaînement verbal contre l’équipe adverse semble être la règle ; aucun goût non plus pour ces mises en scène de communautés, que l’on voit à la télévision, tant dans leur formes familiales tranquilles, que dans leur forme adolescentes souvent destructrices de tout. Si cette histoire et ce goût ont fait de moi ce que l’on pourrait nommer un intellectuel, toujours un peu à distance des affects ordinaires, toujours méfiants à l’égard de ce qui pourrait trop vite m’embarquer et me défaire, toujours un peu inquiet du contact avec d’autres, il reste que ces inclinations ne me font pas juger que l’expérience du collectif ne serait pas une bonne chose. Et même plus : elle me fait examiner et comprendre la particularité de la mienne, ce dont elle manque, ce par quoi elle est triste. Je suis heureux pour les gens s’ils vivent cela, et le fait que cela me soit étranger et même que je m’en défende, ne me porte nullement à juger négativement cette expérience. Pas plus d’ailleurs que l’inverse : du manque de certaines expériences résulte bien souvent une nostalgie trop forte, des éloges inconsidérées, des espoirs sans mesure. Ce n’est pas plus mon cas : je ne fais nullement un salut de cette expérience ; j’essaie de la prendre avec justesse, et cela commence par en reconnaître l’importance vitale, pour la vie même et la qualité de vie.

 

Et de même Durkheim n’était pas tout à fait naïf quant à ces phénomènes de communautés et de minorités : un peu plus loin il parle de phénomènes de foules et s’en inquiète ; un peu plus loin encore il dit que l’enjeu de l’éducation sera aussi de parvenir à une intégration plus complexe susceptible de faire place à l’individu comme tel, à ses droits, à ses initiatives propres, ses souhaits de s’en aller ou de ne plus appartenir. C’est encore lui qui reprend et reconstruit une distinction entre société et communauté, et qui pose que nos sociétés modernes ne peuvent plus se penser sous le mode de LA communauté. Elles sont désormais « plurielles » comme on dit, ce qui veut dire qu’elles accueillent différentes sortes de communauté, différents métiers surtout, sans pouvoir prétendre être elles-mêmes une communauté. Durkheim sait et construit et analyse tout cela.

Reste que cela ne l’empêchait pas de dire ce qu’il dit de l’expérience communautaire, d’en reconnaître la force et le caractère vital. C’est cette générosité là qui me semble nous faire défaut aujourd’hui, et particulièrement en France : le terme même, le goût pour ce terme et l’expérience qu’il recouvre sont impossibles pour nous et parler de communauté c’est aussitôt parler de communautarisme avec toute la stigmatisation et le rejet qui accompagnent ce terme. Chacun le rejette, sans avoir l’honnêteté de reconnaître à quel point il (ou elle) peut ou pourrait tenir à cette expérience, à quel point cette expérience est ou pourrait être vitale pour lui (ou elle) et donc pour tout autre potentiellement. Et « vital » ne signifie ici que ce surcroît de vie, de chaleur, de confiance en soi, d’entrain, de solidarité, rien de plus. Une expérience, un moment de l’expérience.

 

On devrait donc laisser à toutes les religions, ce droit à s’organiser sous forme communautaire et ainsi reconnaître cette expérience communautaire. On devrait surtout s’en réjouir, et cela même si nous y sommes étrangers et que nous n’aimons pas telle ou telle autre communauté. A vrai dire, il ne s’agit même pas d’accorder ce droit, car il y a là quelque chose comme une tendance naturelle. Voudrait-on l’interdire, qu’on ne manquerait pas de la susciter en retour et de la provoquer autant que l’exacerber : les gens aiment à s’associer, c’est la vie pour eux et ce serait leur faire violence que de leur signifier d’une façon ou d’une autre que l’on ne veut pas de cette tendance, qu’elle n’a pas droit à notre reconnaissance, et même encore que nous la craignons. Quoi de plus doux que de se sentir ensemble, au moins pour quelques temps ? Et j’imagine que ceux qui, au contraire de moi, la vivent ou l’ont vécu régulièrement pour eux-mêmes, savent la reconnaître chez d’autres et partant la respectent. Comme j’imagine aussi qu’ils savent bien que, par certains de ses développements, elle est mortelle ou abjecte.

Quant à moi, par ces lignes, j’aurais manifesté le souci que j’ai d’une communauté : la française, qui est la mienne, et dont j’ai voulu ici pointer quelque chose comme une crampe : la crampe communautaire.

Toutefois, la leçon de Durkheim ne s’arrête pas là.

 

 

 

 

La ministre, l’école et la répétition

 

Défendant sa réforme dans une tribune récente (Libération du 16.01.17) Najat Vallaud Belkacem rappelle que son objectif principal était « d’assumer pleinement la nécessité d’avoir d’avantage d’exercices réguliers et répétés ».

Que le ministre de l’éducation nationale ait besoin de rappeler ce qui peut passer pour allant de soi, voilà qui peut sembler étonnant. On voit mal en effet comment les apprentissages scolaires et plus généralement comment tout apprentissage pourraient se passer de régularités et de répétitions. Pourquoi le rappeler et qui l’aurait oublié, quel pédagogue, quel praticien de l’éducation, pourrait le négliger : leurs activités mêmes supposent répétition et régularité.

Dans un texte récent où il cherche à définir la notion de compétence en se focalisant sur les conditions de genèse de toute compétence, Richard Sennett, écrit : « L’éducation moderne a peur de l’apprentissage répétitif, qu’elle juge abrutissant. Craignant de lasser les enfants, avide d’offrir une stimulation sans cesse différente, l’enseignant éclairé peut bien éviter la routine, mais cela prive ses élèves d’une expérience : étudier leur pratique enracinée et la moduler de l’intérieur. (… ) Retourner une chose dans tous les sens permet l’autocritique » (Ce que sait la main, p. 56). Continue reading

Cultures, politesse et étranger

À propos des petits enfants et de leur relation aux adultes, Alain écrivait ceci : « J’ai souvenir d’un père indiscret qui voulait jouer aux soldats de plomb avec nous enfants ; je voyais clairement qu’l n’y comprenait rien ; son propre fils montrait de l’humeur et renversait tout. Les grandes personnes ne doivent jamais jouer avec les enfants ; il me semble que le parti le plus sage est d’être réservé avec eux comme on le serait avec un peuple étranger » (Propos sur l’éducation, 13). Cette distance à ce que l’on sait étranger est ce qu’il nomme politesse, qui n’exclut ni la curiosité ni l’indifférence. Continue reading

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