Je connus par le passé un homme qui faisait grand cas de l’anecdote suivante : une jeune femme, belle sans doute, se croyant sotte, dit un jour à Churchill que s’ils se mariaient ils auraient non seulement des enfants subtils et intelligents (comme lui) mais de surcroît beaux (comme elle). On ne sait si elle jouait ou non, mais Churchill, très sérieusement et assez agressivement, lui répondit ceci : et si c’était l’inverse ; et s’ils étaient laids comme moi et stupides comme vous ?

A la façon dont il me dit et répéta cette histoire, je compris qu’il voyait son couple à cette aune : il se croyait laid ou peu séduisant, mais intelligent certainement. Se pensant intelligent il la croyait (sa femme) bête, mais belle, et de nombreux témoignages semblaient lui donner raison. Il était donc embarrassé de cette sorte de jugement, c’était pour lui des choses bien réelles.

Quant aux enfants, ils ne furent ni vraiment beaux, ni vraiment intelligents. Ils finirent dans le commerce au moins cette sorte de commerce qui semble ne rien attendre de ceux qu’elle forme, sinon qu’ils soient eux-mêmes sympathiques, vifs et malins, comme on dit, au service de meilleures ventes, heureux de se retrouver avec les amis d’antan. Peut-être Churchill avait-il négligé cette autre possibilité : un mixte indiscernable.

Mais voilà bien ce qui arrive à ceux qui s’imaginent que leurs enfants seront leurs produits ; le fruit de leur gènes ou de leur qualités et défauts ; rassurés, ils négligent l’éducation et, surtout, font peser aux enfants le poids silencieux de leur attente qu’ils supposent légitime (les enfants ne viennent-ils pas d’eux ?), qui pèse, pèse, pèse à n’en plus finir, et courbe les têtes, les muscles, les nerfs à la longue. Noblesse oblige ! Parents oblige ! Quant aux autres parts d’eux-mêmes, elles semblent ne pas exister : ils sont beaux, ils sont intelligents, le reste est supposé ne pas compter.

Ils ignorent pourtant que bien d’autres choses d’eux se montreront à leurs enfants. Ils ignorent que les enfants feront et doivent faire des rencontres, qu’il y a en termes de parents-humains bien d’autres qu’eux, ni mieux d’ailleurs, ni pire, mais sans le poids alors d’avoir à se tenir à un modèle d’attente. Ils ignorent ces autres rencontres que sont la découverte d’un métier, de lieux et d’instants inoubliables mais qui passent et doivent passer, d’œuvres qui vous émeuvent et demeurent, solides dans les temps, de plaisir de faire et défaire. Plaisir de partir, plaisir d’inventer, plaisir de se jouer. Ils ignorent que c’est là que les enfants peuvent apprendre, et ainsi être voués à autre chose qu’à eux-mêmes et à leur tranquille bonheur.

Les couples qui se lient sur cette base, feront de mauvaises expériences. Ceux qui s’aiment, et prennent garde à leur amour, ceux qui ont voulu autre chose qu’un bon arrangement et calcul, ceux qui n’auront fait aucun escompte, auront peut être la chance de léguer leur absence, ou plutôt leur retrait, de léguer surtout le goût de ce qui séduit qui va bien au delà des individus et de leur qualités supposées.

C’est tout de même terrible que nous, humains, ramenions ce qui séduit à notre seule mesure, à des mensurations d’intelligence ou de body, sans le moindre égard pour le monde, ce qui y passe, ce qui y demeure, ce qui s’y entrepend.

M’est avis que, sinon tout, au moins une grande partie de la bêtise et du mal du monde vient de là, pour cette raison au moins que c’est bien le monde qui est ici laissé de côté et oublié.