Mois : mai 2017

Elle lui piquait sa bière

Beaucoup connaissent sans doute ce film de Fritz Lang, Big Heat (traduit en français sous le titre : Règlement de comptes). Cette histoire d’un policier partant en guerre contre la corruption dans son service et dans sa ville. On se rappelle que, après un quart d’heure de film, c’est sa jeune épouse qui meur dans la voiture piégée qui aurait du le tuer. On se rappelle encore la bouilloire de café jetée en pleine figure du truand (Lee Marvin) par la seconde femme du film (C Graham).

Mais une chose m’aura depuis fort longtemps arrêté dans ce film : au tout début, dans une scène qui montre la vie de ce couple qui va être détruit, on voit la femme de cet inspecteur, vaquant à la cuisine alors qu’il est attablé près d’elle, lui prendre sa bouteille de bière, en boire un peu, la remettre devant lui. Comme si, voulant dire quelque chose du bonheur conjugal, Fritz Lang n’avait pas trouvé mieux que de montrer ce geste, qui, en quelque sorte, signe leur relation avant que celle-ci ne soit détruite. Pas de grandes déclarations, pas de yeux éperdus pour montrer qu’ils s’aimaient et pour accentuer le sentiment de perte, mais juste ce geste là, qui dit ou montre tout. Le spectateur saura alors ce qui sera dérobé. Il le saura vraiment

De fait, cette image depuis longtemps me hante et s’est insinuée en moi. Pourquoi ? D’où lui vient sa force, de quoi est-elle le signe ?

 

Bonheur conjugal

Je sais très bien mon agacement lorsque mon épouse fait la même chose. Ne peut-elle aller se chercher et s’ouvrir sa propre bière ? Se rend-elle compte que je n’aurais pas ma bouteille pleine ou ma dose, et que, soit je serai frustré, soit j’irai en ouvrir une autre, alors que je me dis qu’une seule devrait me suffire, soit encore que je ne m’explique pas pourquoi moi j’aurais à aller chercher une bière tandis qu’elle, en passant, prend la mienne, quand cela lui chante. ? Mon confort, mes habitudes brisées, qui se relaient d’un sentiment d’injustice.

Cette image du film, depuis fort longtemps m’accompagne et je n’appréhende plus d’être ainsi bousculé dans mes habitudes. Ce geste si commun, qui perturbe mes habitudes, et qui perturbe aussi le sentiment d’une juste répartition des efforts qui brise mon moi ancré dans certaines, je peux désormais l’apprécier, pour l’avoir vu dans ce film. Je peux me reprendre. Cette scène est ainsi pour moi comme un panneau indicateur dans le chemin de la vie comme on dit. Certes, la réflexion peut aussi aider : je peux me dire par exemple que l’égale répartition des rôles ne se juge pas à chaque instant, et si j’en fait plus ici j’en fais moins là ; qu’il faut prendre en considération un ensemble plus élargie pour juger de cet équilibre. Mais ces réflexions n’ont pas la force de cette image, qui me montre une vie autre, attitrante, amusée.

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Etre sincère avec Dieu et solidaire avec les hommes

 

 

C’est là une belle formule, je crois salutaire. Je veux dire apte à dire quelque chose de la vie et de ses errances et donc apte à nous y orienter.

Elle pourrait être dite dans des contextes différents, mais celui où je la trouve est le suivant : un film de Raul Ruiz, Les mystères de Lisbonne. Elle est dite pas un prêtre, qui est aussi un père de substitution pour les enfants qu’il éduque dans une institution religieuse ; tous les enfants sont, sinon orphelins, du moins exposé à l’abandon. Elle est dite à leur intention et l’on comprend avec le film que le prêtre lui-même l’a faite sienne : sa vie démontre qu’il se tient à cette règle.

Le contexte général est celui de la fin du 18° siècle : des hommes et des femmes puissants, appartenant à la noblesse ; des hommes qui veulent exercer leur pouvoir sur des femmes pour affermir leur alliance et leur richesse ; des femmes qui par la suite passent leur vie à se venger  d’avoir ainsi été forcées; des ainés qui ont tous les droits, des cadets qui n’en ont aucun ; des hommes qui font la guerre quand celle-ci se présente. Des dégâts liés à cette vie des puissants, dont les premières victimes, outre les femmes, sont les enfants ; des institutions religieuses qui accueillent ces victimes. Un prêtre qui ne fut pas toujours prêtre mais qui, lui même enfant abandonné, construisit sa vie selon différentes identités (des moments de flashback montreront qu’il aura été tour à tour, étudiant, soldat de Napoléon, homme de main, policier, prêtre, tantôt riche, tantôt pauvre, voyageant en Europe).

Bref, c’est là un tableau qui pourrait bien être encore le nôtre sur bien des points : des hommes puissants, des femmes qui passent leur temps à se venger ; des victimes de ces luttes, l’expérience de l’abandon, des institutions religieuses qui recueillent ces victimes ; la guerre à l’horizon, qui draine évidemment ces hommes.

Une formule comme celle citée plus haut, est sans doute indépendante d’un contexte : elle pourrait être dire ailleurs ; mais il est intéressant de faire comme si ce n’était pas le cas et qu’elle collait parfaitement au contexte ou s’y ajustait. Ainsi, et si je me tiens au contexte, cette formule pourrait bien l’exprimer tout à fait. Elle serait la formule même des enfants abandonnés, laissés à eux-mêmes et sans droits (tous des cadets), et ce par quoi ils peuvent et doivent reprendre pied dans cette vie. A la question : « ô père, pourquoi m’as tu abandonné ? » que pose le Christ, serait répondu de cette façon là : « sincère avec Dieu, solidaire avec les autres hommes ».

Mais au fond et tout d’abord, que dit-t-elle ?

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