Nous vivons, la plupart du temps attaché à nos activités et soucieux de les mener à bien. Mais parfois aussi nous regardons ou écoutons alentour. Plus exactement, parfois nous sommes surpris : telle phrase, dite à tel moment, mais parmi beaucoup d’autres, nous semble tout à fait juste et forte ; telle image, parmi beaucoup d’autres, nous arrête et s’insinue en notre souvenir ; telle scène nous arrête ou nous émeut. Et puis, bien trop souvent, nous passons, revenons à nos activités. Ce moment d’une attention qui s’est comme imposée à nous, où quelques choses ou vies ont semblé nous faire signe, s’efface, et le cours de nos activités reprend ses droits. Parfois nous tentons bien de relier les deux, mais c’est rare.

J’ai souhaité que ce site soit l’occasion d’une attention plus fidèle à ces signes car il y va  sinon de la possibilité de la pensée même, du moins d’un de ses régimes. Si la pensée a bien pour objet la vérité, celle-ci a parfois ce pouvoir de se rappeler à nous : modeste signe qui nous fait signe et qui semble nous attendre. Pourquoi me suis-je arrêté là ? Pourquoi cette formule, cette image, ce lieu se sont-ils déposés, comme d’eux-mêmes, en moi et qu’avaient-ils à me dire? Pourquoi m’ont-ils arrêté et, comme je dis, « autoritalisé » ? Le vrai n’est pas seulement quelque chose que l’on construit, mais bien aussi quelque chose qui nous requiert, nous appelle, nous arrête. De même l’action droite n’est pas seulement l’action calculée, prévue, maîtrisée, mais aussi la prise en compte parfois de l’imprévue, d’une intervention d’ailleurs, d’une remarque incidente d’un tiers, qui nous remet plus nettement à ce que nous faisons et nous en fait vor l’unité. De même encore, l’attention n’est pas seulement voulue, mais vient à la suite d’un premier arrêt, d’un premier dépôt, bien souvent furtif, mais qui nous requiert et nous appelle. Qu’est-ce qui vient là et s’est déposé en quelque sorte malgré soi ? On ne le sait pas trop, mais qu’il se soit déposé, cela est tout à fait certain : le monde nous fait de l’effet.

En suivant de tels signes, certainement que l’on revient à soi, à soi comme individu singulier, doté de certaines histoires ; mais on comprend assez vite que c’est bien aussi quelque chose du monde commun qui nous revient, s’est imposé ou nous a fait signe : les signes nous parlent, de nous certes, mais aussi du monde et des autres.  Avec eux nous apprenons que nous sommes du monde. Et c’est cela qu’il faut alors restituer. Il ne faudra pas s’étonner si leur déchiffrement rejoint ce que chacun rumine, du monde, de ses problèmes.

Une certaine discipline de pensée donc ; et des exercices. Pour attester d’un certain régime de pensée autant que d’une présence en soi du monde.