Il y a une façon emphatique de dire ou de penser une telle expression qui me semble tout à fait dérisoire.

Car au fond nous promettons constamment et quotidiennement, et cela est tout à fait heureux, souhaitable, important. « Ce soir je ferai les courses ; tu peux compter sur moi à 10h ; je ferai ce travail demain ; la commande sera prête dans dix jours ». Nos vies sont régulières, plus exactement nous avons appris à être réguliers, prévisibles, et si, souvent, nos paroles viennent ponctuer, confirmer, ces régularités multiples, elles ne sont pas toujours nécessaires. Et si nos vies sont régulières, cela ne veut pas dire que nous suivons des règles : la régularité est ce que nous aimons, ce qui nous fait vivre avec d’autres et avec nous-mêmes. Mais bien sûr aussi elle nous lasse et bien sûr aussi il nous faut parfois en sortir des accidents surviennent, des ratés, des rencontres imprévues).

Il n’est pas forcément facile de dire quelle est la fonction de ces paroles : sans elles nos régularités nous sembleraient par trop mécaniques, ou encore avons nous besoin de signifier nos intentions pour assurer mieux nos collaborations ordinaires.

Tout le monde tient parole et plusieurs fois par jour. Dès lors, on ne voit pas pourquoi nous devrions mettre une emphase quelconque sur cette expression ou en faire un objet de pensée important, grave, essentiel à la subjectivité, un peu comme Nietzsche disant que la fin de tout processus de culture était de faire un individu capable de promettre (pour constater toutefois ensuite que la culture fait en fait tout autre chose, à savoir un être timide, plein de dettes et de culpabilités). Nous ne pouvons nous glorifier de ce qui nous est ordinaire et la prévisibilité, la promesse, le tenir-parole, le sont.

 

On objecte qu’il y a dans la vie certains moments privilégiés, décisifs, organisés même selon des rituels, dans lesquels ou à l’occasion desquels c’est un engagement fort, important, qui est attendu de l’individu et où alors le sens fort de « tenir sa promesse », pourrait être légitimé. Ce sont ces moments du mariage, d’engagement dans un groupe ou un parti, de prise d’une fonction nouvelle impliquant des responsabilités pour autrui, peut-être dans une entreprise, où des engagements fermes et solides sont attendus de nous. Là un homme une femme se mesure à leur capacité de tenir leur parole. Là on peut dire avec force : je tiens quant à moi ma parole.

 

Ces moments forts, ces moments d’engagements, le plus souvent ritualisés, sont moins importants aujourd’hui. Continue reading